Contrairement à ce qui se dit ça et là, nous ne sacrifions pas l’intérêt de l’enfant pour des préoccupations personnelles – la grasse matinée du mercredi matin. (Et nous les cénétistes, nous ne perdons pas de vue nos convictions pédagogiques quand nous défendons nos intérêts de travailleurs)
Ce que nous voyons venir avec ces réformes Peillon, c’est un allongement et/ou un morcellement du temps de travail pour tous, enfants, enseignants et personnels municipaux sans allègement de la charge de travail. Il est clair que le modèle du secondaire se diffuse dans le primaire quand pour nous, c’est le contraire qui serait dans l’intérêt des enfants.
Pour les élèves, le volume horaire sera le même. Pas d’allègement ni du nombre d’heures ni des programmes ni des évaluations. Tant qu’on met les enfants sous pression pour se lever tôt et finir le programme, travailler, travailler, tous à la même cadence, rentrer avec encore des devoirs à faire, comment peut-on parler de respect de leur rythme ? Ils gagnent quoi ? Une meilleure répartition ?
Il est prévu à Paris de rallonger le temps de cantine de 45 minutes chaque jour pour rajouter 3 heures de classe le mercredi matin. Tout le monde quittant l’école le soir à la même heure (16h30 ou 18h). Aller en classe un matin de plus, et supprimer une matinée de repos ou de loisir fait évidemment une semaine plus fatigante. L’expérience a déjà été imposée une année à Montreuil (2007/2008), et au final, les enfants étaient bien plus fatigués [1].
Si au moins cet effort pouvait être compensé par un réel raccourcissement et allègement des autres jours de la semaine. Ce ne sera pas le cas. Un autre aménagement du temps de l’enfant (ATE) existe dans certaines écoles parisiennes. Toutes ont au contraire raccourci l’interclasse du midi, parce que c’est un moment fatigant, de stress, d’énervements divers dans la cour ou de désœuvrement stérile. Les écoles où les enfants sont plus reposés et disponibles l’après-midi ont un interclasse d’une heure trente. Porter ce temps à presque trois heures montre à quel point les politiciens méconnaissent la réalité des écoles.
Mais attendez, nous dit-on, vous allez voir ce que vous allez voir : cet interclasse du midi va être formidable ! La municipalité nous promet monts et merveilles... qu’elle n’a jamais réussi à trouver depuis des lustres. Car bien sûr, tout ceci se fera suivant le dogme absolu des moyens constants. La Ville a réduit de 5 millions le budget des classes de découverte pour cette réforme. Les gosses au bord de la mer ou dans un préau parisien ? Le choix est fait.
Alors, ateliers culturels, sportifs -vous avez dit repos ?- ou scientifiques. D’abord, ils existent déjà en classe car les enseignants n’ont pas oublié l’intérêt de ces matières. Ensuite, par qui seront-ils assurés le midi ? Des animateurs, des enseignants et des conférenciers formés et compétents, ça coûte très cher. Or il y a belle lurette que la ville recrute majoritairement des précaires et des personnes sans formation, ni même expérience avec des enfants pour encadrer cantine, étude du soir et centre de loisirs. Les syndicats de la ville ne cessent de se battre contre ce recrutement massif de vacataires qui bossent parfois pendant des années sans être titularisés. Mais l’adjointe Brossel promet de les « déprécariser » ! A coup de Karcher ? Pourquoi ne l’ont-ils pas fait depuis toutes ces années ?
Quant aux professeurs de la ville de Paris (PVP) leurs concours de recrutement sont en voie de disparition depuis 3 ans ; au moins douze postes de moins l’an prochain.
Et les locaux ? Les espaces qui manquent cruellement déjà aujourd’hui (salles de repos inexistantes, bibliothèques trop petites, installations sportives suroccupées...) ne vont pas surgir dès l’an prochain. Qui peut aller au musée et en revenir en 45 minutes le midi ?
Alors, quand les socialistes nous parlent d’intérêt de l’enfant, nous ne sommes pas dupes.
Mais les personnels qui travaillent dans les écoles vont aussi la sentir passer cette réforme. Les animateurs qui travaillent le mercredi vont devoir revoir leur vie personnelle, parce que leur temps de travail va être morcelé sur les autres jours de la semaine. Ils se verront entourés de toujours plus de précaires, comme déjà dit. Les profs de la ville craignent la même chose, et aussi de se voir obligés de travailler en périscolaire alors que leur formation et leur vocation est d’enseigner l’EPS du temps scolaire. Beaucoup de complications sont à prévoir également pour les agents de service à qui on ne demande rien non plus. Sont-ils quantité négligeable ?
Quant aux professeurs des écoles, c’est un temps de présence rallongé à l’école qui leur est promis. Quatre jours, de 8h30 à 16h30, comme d’habitude, plus la matinée du mercredi, et sans doute un certain nombre de mercredi après-midi pour des réunions et des animations. Vous avez dit intensification ? Non seulement ils sont les enseignants qui bossent le plus, non seulement, ils n’ont eu droit à aucune RTT, mais on en rajoute ! Quand lâcheront-ils leur complexe de culpabilité pour reconnaître qu’ils ont trop de travail, trop de stress ? Moins de repos dans la semaine, c’est moins de disponibilité et de patience pour les enfants. Et pour les enseignants qui ont de jeunes enfants ou qui habitent dans d’autres communes qui feront un choix d’aménagement du temps scolaire différent, les frais de garde vont augmenter.
Tout ça pour retirer quelques minutes de cours le midi ?
Ce qui nous frappe, enfin, c’est la contamination du primaire par le modèle historique du secondaire. Au collège et au lycée, la distance entre enfants et adultes est plus grande que dans le primaire : la multiplicité des enseignants, la taille des établissements et le saucissonnage des matières favorise ce phénomène. Cela induit des difficultés : connaître et comprendre les enfants, les écouter, les suivre. Mais aussi une conception du savoir plus froide, comme un simple objet à transmettre. Cela s’exprime dans le primaire par les livrets de compétences et des évaluations qui tendent à considérer l’enfant comme un sujet cognitif entièrement responsable de ses résultats. Et ce, dès l’âge de trois ans maintenant ! Ce qui est provoqué par l’institution, le milieu social, la relation pédagogique s’effacent ainsi peu à peu. La compétition sociale s’impose. Alors que pour nous il est moins question de savoir s’il faut travailler le mercredi ou le samedi matin - même si nous sommes opposés au mercredi - que de s’organiser collectivement afin que ce débat soit mené dans l’intérêt des enfants et des personnels, contre le capitalisme, ses règles d’or et sigles AAA compris. Et si nous n’avons pas une vigilance respectueuse, nous permettons aux médias et aux pressions de la vie moderne d’obliger nos enfants à grandir. Nous oublions d’avoir confiance dans le fait que les enfants deviennent naturellement indépendants, à leur propre rythme.
On nous vante les modèles allemands ou finlandais mais c’est une supercherie. En Allemagne, on revient sur l’habitude de libérer les enfants l’après-midi parce que ceux qui n’ont pas les moyens de se payer des activités ne font rien et traînent, et ce système implique que le devoir des mères est d’arrêter de travailler pour élever les enfants. En Finlande, il y a beaucoup moins d’élèves par classe, et surtout pas d’apprentissage de la lecture avant l’âge de sept ans ni aucune évaluation ! On en est loin ici.
Pour nous, le changement, c’est plus de personnels enseignants et non enseignants, plus d’espaces verts, plus de jeux, plus de classes transplantées, plus de musées gratuits, plus d’écoles plus grandes avec plus de salles pour faire plus d’activités de recherches, de cuisine et de créations...
Et aussi travailler moins et autrement. Favoriser le travail en équipe, ne plus être seul avec ses élèves dans une classe, ne plus imposer des horaires impossibles aux personnels de service, aux enfants, aux enseignants, ne plus imposer des cantines inhumaines, ne plus subir le bruit, enfants, enseignants et non enseignants réunis, apprendre à travailler ensemble, enfants et adultes, s’apprendre mutuellement...
La refondation se devait de supprimer le Livret personnel de compétences LPC), la Base Élèves – qui n’a toujours pas reçu l’agrément de la CNIL –, l’Aide personnalisée, les programmes de 2008 et leur logique de bachotage. De tout ça, et bien d’autres choses encore, il n’est pas question dans cette refondation Peillon.
[1] Voir l’annexe du document joint
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Publié le : | 29 janvier 2013 |
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