Pour la CNT, l’avant-projet de loi sur la négociation collective, l’emploi et le travail, que la ministre Myriam El Khomri présentera le 24 mars 2016 en conseil des ministres, parachève le projet de dissolution des derniers droits des salariés, orchestré conjointement par les organisations patronales et le gouvernement. Ce projet de loi est une véritable régression historique en matière de droits sociaux, dans la mesure où de nombreux acquis des travailleurs pourront être renégociés à l’échelle des entreprises, et où le rapport de force sera systématiquement défavorable aux salariés.
Le projet de loi intègre en préambule les 61 « principes essentiels du droit du travail » rédigés par la commission Badinter, qui sont repris en l’état, sans débat, alors qu’ils font l’objet de nombreuses critiques. Ce préambule archi libéral rompt en effet théoriquement, juridiquement et historiquement avec un siècle d’histoire du code du travail. Le premier article de ce rapport place le bon fonctionnement de l’entreprise au même niveau que les libertés et les droits fondamentaux des salariés et permet donc de justifier que des limitations y soient apportées. De ce fait, la durée « légale » du temps de travail est transformée en durée « normale » en précisant que « des conventions et accords collectifs peuvent retenir une durée différente ».
Un accord d’entreprise est un accord conclu entre un employeur et une ou plusieurs organisations syndicales en vue de fixer des règles relatives aux conditions de travail, à l’emploi ou aux garanties sociales des salariés. Jusqu’ici la loi primait sur l’accord de branche qui primait sur l’accord d’entreprise, sauf si l’accord de branche ou d’entreprise étaient plus favorables. Avec le projet de loi, c’est l’accord d’entreprise qui prévaut sur l’accord de branche, même si celui-ci est moins favorable aux salariés.
Les règles de la négociation collective ont été également modifiées en prévoyant de recourir au référendum afin de contourner la discussion syndicale. S’il y a moins de 50% mais plus de 30% pour les organisations signataires de l’accord, ces organisations peuvent demander une consultation des salariés pour valider l’accord. Cette pratique, qui se présente sous un masque plus démocratique, prendra en réalité la forme d’un chantage pour les salariés en leur proposant de renoncer à une part plus ou moins importante de leurs acquis sociaux en échange du maintien de leur activité. Ces dispositifs extra-légaux permettront aux employeurs de contourner efficacement les syndicats afin d’imposer de nouvelles conditions de travail. Les conséquences seront un recul des acquis sociaux pour les travailleurs dans les entreprises concernées.
Le projet de loi modifie la « consultation » des représentants du personnel jusqu’ici prévue par la loi, qui devient simple « information ».
Le projet de loi modifie le code général des collectivités territoriales pour lui permettre de mettre à la porte les organisations syndicales pour lesquelles des locaux étaient mis à disposition.
Lorsqu’un employeur contestera la nécessité d’une expertise demandée par le CHSCT ou son coût, le projet de loi imposera au juge un délai très court de 10 jours pour rendre sa décision. De plus, l’annulation par le juge de la décision du CHSCT obligera désormais l’expert à rembourser à l’employeur les sommes versées ou le comité d’entreprise à les prendre en charge.
Si un accord est signé, « en vue de la préservation ou du développement de l’emploi, ses stipulations se substituent de plein droit aux clauses contraires et incompatibles du contrat de travail, y compris en matière de rémunération et de durée du travail », c’est-à-dire que le salaire peut être abaissé et la durée de travail augmentée. Si le salarié refuse, il est licencié non plus pour motif économique mais pour faute.
Par simple accord d’entreprise, la durée quotidienne du temps de travail pourra passer de 10 heures à 12 heures de travail maximum par jour.
Les employeurs pourront désormais, pendant 16 semaines au lieu de 12 actuellement, porter la durée du travail maximale moyenne à 44 heures. C’est désormais par accord qu’il pourra être dérogé à la durée maximale moyenne. Et là encore l’accord d’entreprise prime sur l’accord de branche.
La loi ne prévoit plus la possibilité, par accord collectif, de rémunérer les temps de pause et de restauration même s’ils n’étaient pas considérés comme temps de travail effectif.
Elle ne prévoit plus la possibilité de considérer comme temps de travail effectif – par accord collectif, usages ou contrat de travail – les temps d’habillage et de déshabillage quand une tenue de travail est nécessaire.
Elle ne prévoit plus des modalités de contrepartie si le temps de déplacement professionnel est supérieur au temps habituel de déplacement entre le domicile et le lieu du travail.
Le dispositif « forfaits-jours », qui permet de ne pas décompter les heures de travail, est étendu : les entreprises de moins de 50 salariés n’auront plus besoin d’accord collectif ; les 11 heures de repos obligatoire par tranche de 24 heures pourront être fractionnées.
Le projet de loi prévoit également que les temps d’astreinte pourront être décomptés des temps de repos.
Les apprentis de moins de 18 ans pourront travailler 10 heures par jour et 40 heures par semaine sur simple décision de l’employeur.
L’employeur pourra désormais passer par-dessus l’opposition des représentants du personnel et l’inspecteur du travail pour imposer des horaires individualisés. Les modalités de report d’heures d’une semaine sur l’autre en cas d’horaires individualisés ainsi que la récupération des heures perdues seront fixées par simple accord, et là encore c’est l’accord d’entreprise qui primera sur l’accord de branche.
Le projet de loi décide que le travail de nuit sera désormais un travail effectué au cours d’une période de neuf heures consécutives comprenant l’intervalle entre minuit et 5 heures. Jusqu’ici tout travail entre 21 heures et 6 heures était considéré comme travail de nuit. La durée maximale quotidienne du travail de nuit est maintenue à 8 heures, mais il peut y être dérogé par accord d’entreprise qui prime désormais sur l’accord de branche. La durée hebdomadaire maximale du travail de nuit est toujours de 40 heures en moyenne mais désormais calculée sur 16 semaines et plus sur 12. La surveillance médicale des travailleurs de nuit est affaiblie.
Pour la mise en place du travail à temps partiel ainsi que pour la répartition des horaires à l’intérieur de la journée et pour fixer les amplitudes horaires et les contreparties, quand cette répartition comporte plus d’une interruption ou une interruption supérieure à 2 heures, c’est encore une fois l’accord d’entreprise qui prime sur l’accord de branche.
Par accord d’entreprise, l’employeur pourra déroger à la durée minimale de repos quotidien.
Par accord d’entreprise, c’est l’employeur qui définira les jours fériés chômés.
Par accord d’entreprise, c’est l’employeur qui fixera les délais qu’il doit respecter s’il modifie l’ordre et la date de départs en congés, alors que la loi fixait ce délai à un mois.
Par accord d’entreprise, c’est l’employeur qui fixera désormais le nombre de jours de congés pour les événements familiaux (mariage, naissance, décès) ; les congés de solidarité familiale ; les congés de proche aidant ; les congés de formation économique, sociale et syndicale ; les congés mutualistes de formation ; les congés de participation aux instances d’emploi et de formation professionnelle ou à un jury d’examen ; les congés pour catastrophe naturelle ; les congés de formation de cadres et d’animateurs pour la jeunesse ; les congés de représentation ; les congés de solidarité internationale ; les congés pour acquisition de la nationalité ; et les congés et périodes de travail à temps partiel pour la création ou la reprise d’entreprise.
Par simple accord d’entreprise, les heures supplémentaires pourront être cinq fois moins majorées. Les employeurs, par accord (là aussi l’accord d’entreprise primera), pourront choisir le taux de majoration des heures supplémentaires, pouvant l’abaisser jusqu’à 10 %. De plus, à défaut de délégué syndical dans l’entreprise, l’employeur pourra remplacer le paiement des heures supplémentaires par un repos compensateur si les représentants du personnel ne s’y opposent pas. Mais, à l’inverse, un accord de branche pourra imposer cette disposition même si les représentants du personnel dans l’entreprise y sont opposés.
Par simple accord d’entreprise, le temps de travail pourra être « modulé » sur trois ans et sur 16 semaines sans accord, par simple décision unilatérale de l’employeur dans les entreprises de moins 50 salariés, pour éviter de payer les heures supplémentaires lorsque le temps de travail dépasse 35 heures.
Le projet de loi prévoit que, sans avoir besoin de faire la démonstration de graves difficultés conjoncturelles, l’employeur pourra modifier le contrat de travail d’un salarié qui, en cas de refus de celui-ci, pourra être licencié sans motif économique et donc sans possibilité de contestation.
Le projet de loi introduit un barème des indemnités prud’homales en cas de licenciement illégal. Elles ne pourront pas excéder un certain montant et pourront varier en fonction de l’ancienneté du salarié. Ainsi l’employeur pourra licencier un salarié sans motif, en provisionnant, avec un risque financier très limité.
Le projet de loi a prévu de redéfinir le licenciement économique. Une entreprise pourra faire un plan social sans avoir de difficultés économiques. Une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires supérieure à deux trimestres consécutifs et la durée des pertes d’exploitation supérieure à un trimestre permettront d’effectuer des licenciements.
Pour la CNT, ce projet de loi s’inscrit dans un dessein plus global de renforcement de la société libérale, ordonné par les représentants du grand Capital et imposer par ses sbires du gouvernement. En effet, enfermée dans ses propres contradictions structurelles et ses crises conjoncturelles à répétition, la société capitaliste et ses principaux bénéficiaires n’ont plus à leur disposition que le levier de l’assouplissement drastique du code du travail pour influer sur la baisse des salaires et l’augmentation du temps de travail des salariés pour leur permettre d’accroitre leurs profits, afin de faire perdurer ce système moribond qui repose sur des structures inégalitaires de base inacceptables et une appropriation des ressources naturelles mortifère.
Pour la CNT, le rôle du syndicalisme n’est pas de négocier avec le gouvernement afin de pondérer la pire opération de destruction des acquis sociaux de l’Histoire, mais consiste à s’inscrire dans un rapport de force, celui de la lutte des classes, qui permettra de lui imposer l’abandon total et définitif de l’ensemble des dispositions scélérates qui constituent ce projet de loi.
La CNT aspire à une société libérée de toutes les institutions politiques et sociales coercitives faisant obstacle au développement d’une humanité libre. C’est une organisation de combat qui vise l’amélioration du niveau de vie des travailleurs en menant des luttes éminemment politiques, révélatrices d’un projet de société débarrassé du capitalisme et d’une autre forme d’organisation sociale strictement égalitaire, car il est clair que les injustices sociales tiennent au régime capitaliste. La CNT a de grandes ambitions : l’émancipation des travailleurs, l’abolition des classes, l’égalité et la justice sociale, et l’autogestion de la société.
Cependant, même si nous nous efforçons d’abolir l’exploitation capitaliste existante, il faut œuvrer contextuellement à la diminution du taux de profit des capitalistes et à l’augmentation de la part qui revient aux travailleurs. De ce point de vue, la guerre contre le capitalisme doit être simultanément une guerre contre toutes les institutions de l’État, car le pouvoir politique étatique n’est que la conséquence du monopole capitaliste et de la division de la société en classes et il ne sert qu’à maintenir cet état de fait. Pour la CNT, ce combat doit prendre la forme de l’action directe.
Toutes et tous en grève !
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Publié le : | 12 mars 2016 |
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