Au-delà des mesures spécifiques qu’elle comporte, la loi dite « travail » comporte un choix de société bien établi. Celui d’une société capitaliste libérale accomplie, avec pour toile de fond « l’individu », son « capital » et sa soi-disant « liberté ».
Quelques exemples de cette logique :
Ces quelques illustrations constituent le fond idéologique de la loi travail, dans la droite ligne des lois précédentes (le prétendu « volontariat » des salariés pour le travail le dimanche, la rupture conventionnelle ou les départs dits « volontaires » en cas de licenciements économiques ; la culpabilisation des sans-emploi, à travers le RSA-activité ou la dégressivité des allocations chômage ; l’augmentation des annuités et le renforcement de la notion de contributivité en termes de retraite ; la rémunération au mérite plutôt que les augmentations collectives : les mutuelles et assurances privées contre la sécurité sociale ; la participation et l’intéressement contre le salaire, etc.).
Il s’agit bien d’imposer un modèle de société : celui d’un capitalisme libéral triomphant où l’individu isolé, juridiquement responsable de sa vie, capitalise dans son coin pour son intérêt propre. Et pour ceux qui resteraient sur le bord du chemin, l’État fera l’aumône : quelque 400 euros par mois de RSA ou de « garantie jeune », quelque 700 euros de minimum vieillesse... En imposant bien entendu un flicage de ses « assistés » : obligation d’accepter des petits boulots mal payés, cumul emploi-retraite, etc.
Mais cette logique de société est un mythe. Les individus ne sont pas libres et égaux. Le capitalisme est fondé justement sur une distinction claire : ceux qui détiennent les moyens de production (le capital) et le pouvoir social qui en découle directement (actionnaires) ou indirectement (DRH, cadres dirigeants, etc.), contre ceux qui n’ont que leur travail pour vivre. C’est ce qu’on appelle la lutte des classes. Ici, il n’y a pas de place pour l’égalité ou la liberté ou pour des « partenaires sociaux ». Que l’État et le gouvernement prétendent et assènent le contraire montre clairement leur place : assurer la continuité du capitalisme et de cette division en classes sociales.
Toutefois, les travailleurs, à travers l’histoire, ne sont jamais restés sans rien faire. Ils ont arrachés, au prix de l’exil, de la prison, voire de leur vie, des droits : de s’organiser en syndicats, de faire grève, d’avoir des congés payés, de limiter le temps de travail, d’obtenir réparation en cas de licenciement, d’avoir une sécurité sociale et des allocations chômage, d’interdire le travail des enfants, d’imposer des conventions collectives et des salaires minimum, etc. Non pas en se lamentant ni en demandant gentiment aux puissants, mais en exigeant, en s’organisant et en luttant. Sans la Commune de Paris en 1871, les bourses du travail, les grèves pour la journée de 8 heures au début du XXe siècle, les grèves générales de 1936 ou 1968, la Résistance et le CNR en 1945, et combien d’autres luttes encore, il n’y aurait pas besoin de loi El Khomri pour assurer le triomphe du capitalisme.
Obtenir le retrait de la loi travail, comme nous avons obtenu celui des plans Jospin en 1991 et Juppé en 1995, du CPE et CNE en 2006, voilà donc l’enjeu immédiat, certes. Mais, surtout, il nous faut opposer notre logique, notre modèle de société à celui du capitalisme dans sa version la plus libérale. Retrouver les voies de l’auto-organisation collective, de l’autonomie des travailleurs (avec ou sans emploi), renouer avec les origines du syndicalisme, sans permanents ou dirigeants autoproclamés négociant à Matignon la longueur de nos chaînes.
Acter que notre monde ne connaît pas l’égalité et la liberté, mais que c’est à nous de les construire dans nos propres institutions et non pas à travers celles que veulent nous imposer patrons et dirigeants politiques. Accepter sereinement que nous notre arme est la solidarité quand la leur est de nous individualiser :
Autant de pistes, de réflexes, d’idées et surtout de pratiques à mettre en œuvre dès aujourd’hui, ici et maintenant. Notre liberté, notre égalité, notre fraternité, ne seront pas le fruit de lois étatiques ou d’une soi-disant République qui a perdu ses fondements révolutionnaires et sociaux.
Derrière la loi travail se cache un choix de société : transformer les individus en petite entreprises concurrentielles, une société capitaliste accomplie. Face à cette logique, c’est un autre futur que nous devons construire. Par la grève générale et la révolution sociale. Ne nous cachons pas, assumons, notre avenir et notre modèle de société ne dépendent que de nous.
Ne nous lamentons pas, organisons-nous !
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Publié le : | 22 mars 2016 |
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