Beaucoup d’encre coule sur la question des indemnités prud’homales en cas de licenciement abusif (précisons dès maintenant qu’il s’agit de situations où l’employeur est reconnu fautif...). La première version de la loi El Khomri donnait un barème et plafonnait les indemnités en cas de licenciement abusif à 15 mois. La deuxième version, plus sournoise, ne donne plus qu’un barème indicatif... Mais deux problèmes se posent :
en rendant ce barème indicatif, la loi supprime le plancher légal jusque-là en vigueur des 6 mois minimum d’indemnités, pire, il se pourrait que les 6 mois deviennent un maximum et non plus un plancher... Sous couvert de concession, une attaque de nos droits ;
si le barème est indicatif, il ne sert à rien de le mettre dans la loi ; s’il le reste c’est bien que le gouvernement compte qu’il sera largement appliqué par les juges prud’homaux...
Mais, au-delà, des interrogations bien plus profondes traversent cette question des indemnités en cas de licenciement.
D’abord, l’inégalité de traitement en fonction de l’ancienneté du salarié et de la taille de l’entreprise. En effet, le code du travail actuel ne prévoit ce minimum de six mois que pour les salariés ayant plus de deux ans d’ancienneté travaillant dans une entreprise de plus de 11 salariés. Pour les autres, c’est le conseil des prud’hommes qui estime le préjudice et fixe les dommages et intérêts à accorder.
Par ailleurs, deux cas distincts existent pour les licenciements abusifs : les licenciements sans cause réelle et sérieuse et les licenciements nuls. La grande différence (outre le montant des indemnités) entre les deux est que si les prud’hommes demandent la réintégration du salarié dans l’entreprise, dans le premier cas l’employeur peut si opposer, mais pas dans le second cas...
Et c’est bien là la question centrale : avoir des indemnités n’est pas la même chose qu’avoir un emploi stable et un salaire régulier (pensons par exemple au fait de chercher un appartement à louer avec ou sans emploi...). A quel titre un patron, si le licenciement est considéré comme abusif aurait-il droit de s’opposer à la réintégration du salarié ?
La situation est d’ailleurs la même en cas de licenciement économique : le juge ne peut pas faire annuler des licenciements économiques, le salarié peut juste, aux prud’hommes, contester son licenciement et obtenir des indemnités. Mais là encore l’emploi est perdu... Pensons aux salariés de Continental, par exemple, qui aujourd’hui sont pour la plupart au chômage et dont les indemnités sont largement épuisées... Notons d’ailleurs à ce sujet qu’une loi de 1986 a supprimé l’autorisation administrative (de l’inspection du travail) nécessaire pour tout licenciement économique... De même, évoquons le fait que le plus souvent les requalifications de contrats précaires en CDI se soldent par des indemnités et pas des réintégrations dans l’entreprise.
Enfin, ne négligeons pas un autre fait : le coût et la durée des procédures judiciaires. En effet, une procédure prud’hommes n’est pas gratuite pour un salarié, d’autant plus si la procédure après les prud’hommes va en appel, voire en cour de cassation. A chaque fois ce sont des centaines, voire des milliers d’euros à débourser. Et ce ne sont pas les quelques assurances ou aides juridictionnelles qui peuvent prendre ces frais en charge. Et pendant ce temps-là, le patron, lui, utilise l’argent de l’entreprise (donc produit par les salariés) pour payer tous ces frais judiciaires...
Quant à la durée des procédures, ce sont parfois de années qui sont nécessaires pour obtenir réparation, que ce soit du fait de la surcharge des prud’hommes ou des demandes de report, ou bien entendu des appels et pourvois en cassation. Et pendant ce temps-là, le patron, lui, continue de toucher son salaire...
C’est bien pour ces raisons que bien souvent les patrons préfèrent licencier en sachant qu’ils sont dans l’illégalité : soit ils comptent sur le fait que le salarié ne puisse aller aux prud’hommes, soit ils comptent sur une transaction a minima quand le salarié ne peut plus attendre, soit ils provisionnent sur plusieurs mois ou années ces « frais exceptionnels » à venir... C’est ainsi que l’on voit se multiplier les cas de licenciements économiques déguisés en licenciements pour « fausse » faute, les contraintes en cas de licenciements économiques étant bien plus fortes (reclassement, indemnités, formation, etc.)...
Alors, harmoniser le code du travail ? Chiche, mais alors en renforçant les droits des salariés, pas en facilitant les possibilités pour les patrons de faire ce que bon leur semble, mais plutôt en les dissuadant d’enfreindre volontairement la loi. Quelques mesures simples ? Voici quelques pistes non exhaustives :
Fonction publique, le mauvais élève...
Il est à noter que la situation est bien pire dans la fonction publique. En effet, si on parle souvent de la « sécurité de l’emploi » des fonctionnaires, on parle rarement, voire jamais du fait que la Fonction publique est le premier employeur de précaires (vacataires et contractuels) et de la lenteur et de la complexité des recours juridiques au tribunal administratif pour les salariés relevant du secteur public. Il y aurait énormément à faire pour renforcer les droits de ces salariés, notamment en termes de titularisation et de contestation de sanctions ou de radiations...
Notre syndicat a toujours refusé de participera aux élections prud’homales pour deux raisons principales : refus d’une gestion paritaire avec les patrons, et affirmer que notre rôle de syndicaliste est d’être défenseur et pas juge. Quoi qu’il en soit, la CNT a recours aux prud’hommes, même si nous estimons que devoir recourir à la justice est souvent l’aveu d’un échec du rapport de force en amont pour faire reculer le patronat... Car la vraie solution est bien là pour nous : se syndiquer pour pouvoir s’informer de ces droits, se défendre et réagir collectivement le plus rapidement possible et éviter au maximum que le mal soit déjà fait et que les prud’hommes ne deviennent la seule solution...
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Publié le : | 22 mars 2016 |
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