Le chaos du XXe siècle n’est pas venu à bout de la ténacité de ces camarades qui, malgré l’exil, ont continué le combat pour une société libertaire.
C’était il y a soixante‑dix ans, le 24 août 1944 : un premier détachement de la 2e DB entrait dans Paris. La veille, donc, de la date officielle retenue pour célébrer la Libération de la capitale.
Outre les chars bien connus de l’histoire française racontée par de Gaulle, le Montmirail, le Champaubert et le Romilly, qui étaient présents ce 24 août, le groupe de véhicules blindés qui les précédaient portaient de bien drôles de noms : Guadalajara, Teruel, Brunete. Ils appartenaient à la 9e compagnie, commandée par le capitaine Dronne : la Nueve (le chiffre « neuf » en espagnol).
Qui étaient ces Espagnols à bord de ces véhicules, à l’avant-garde de l’armée française dépêchée par Leclerc et de Gaulle pour participer à la Libération de Paris entamée par les insurgés quelques jours plus tôt ? Pourquoi étaient-ils dans l’armée française ? Expliquer leur présence, rappeler leurs engagements, obtenir une reconnaissance officielle motiveront les événements organisés cette année par l’association 24 août 1944 à l’égard de ces hommes que les manuels d’histoire oublient systématiquement. Étrangers à la France, comme beaucoup d’autres qui constituaient cette armée Leclerc formée aux confins du Tchad, la liberté était à la source de leurs engagements bien des années auparavant.
En effet, en 1936, ces Espagnols avaient déjà lutté pour la défense de leur liberté. Afin de soutenir la République contre le putsch de Franco, et, dans le même temps, pour nombre d’entre eux, en réalisant à grande échelle les prémices du communisme libertaire, afin de mettre en place une société sans classe.
Toutes les démocraties occidentales, France, Angleterre, et États-Unis, abandonnent le peuple espagnol à son sort, et, en 1939, ils sont des centaines de milliers à s’exiler vers la France pour échapper aux massacres franquistes, en passant par les Pyrénées, mais aussi par la Méditerranée, car à l’époque, l’Afrique du Nord est « française ».
C’est là qu’ils rejoignent la 2e DB, souvent après avoir déserté l’armée de Vichy, parce qu’ils font la différence entre la France de Pétain et la France qui combat le fascisme. Mais outre leur antifascisme viscéral, beaucoup d’entre eux sont libertaires. Leur engagement dans la 2e DB comme dans la résistance, dans de nombreux départements français (les Glières, l’Ariège, etc.), n’est donc que circonstanciel.
Ne cherchant pas les honneurs, car leur combat est politique au sens noble du terme, ils ne cherchent pas non plus les médailles.
Certains d’entre eux qui ont lutté jusqu’au repaire d’Hitler, au sein de la Nueve, pensent qu’une fois l’Allemagne nazie écrasée, les troupes alliées se retourneraient contre Franco.
Mais ces Espagnols de tous les combats antifascistes sont à nouveau abandonnés par les démocraties occidentales.
Ils continuent tant bien que mal, en exil, la lutte contre Franco. Mais la partie est inégale, car au sein de l’ONU, les grandes puissances de l’Ouest et de l’Est s’entendent en 1955 pour reconnaître l’Espagne franquiste.·
Qu’importe, les survivants de ces « républicains » libertaires poursuivront leur chemin sans concession pour un autre futur.
Ainsi Francisco Roda et Roque Llop, rescapés du camp de Mauthausen, et Manuel Lozano, de la Nueve, fréquenteront sans discontinuer les locaux du 33, rue des Vignoles… jusqu’à leur dernier souffle, au milieu de tous leurs camarades aux destinées chaotiques, mais jamais battus ni abattus dans leur traversée du XXe siècle.
C’est aussi à ces hommes-là que nous rendons hommage : ces drôles de « républicains » aux drapeaux rouge et noir.
Il sera de tous les combats de la CNT, contre Franco ou l’Allemagne nazie, de l’Espagne à Paris.
Manuel Lozano naît à Jerez de la Frontera (Andalousie) le 14 avril 1916. C’est à l’âge de 16 ans qu’il adhère aux Jeunesses libertaires et à la CNT. Il combat pendant la guerre civile dans le camp de la République sur les fronts de Málaga, Grenade, Marbella et Murcie.
À la défaite du camp républicain, il réussit à prendre un bateau et rejoint Oran (Algérie) en avril 1939. Il s’engage dans les corps francs d’Afrique en 1943 et prend part à la libération de Bizerte, en Tunisie.
Incorporé, comme beaucoup de ses camarades anarchistes espagnols, dans la Nueve de la 2e DB, Manuel Lozano participe à la bataille de Normandie et à la Libération de Paris. Puis il continue avec la Nueve vers l’Allemagne et est encore présent lors de la libération du camp de Dachau ainsi qu’au Nid d’aigle d’Hitler. Des médailles lui sont attribuées. Il n’en fera jamais étalage.
À sa démobilisation, en 1945, il intègre la CNT d’Espagne en exil à Paris. Il fréquentera les locaux de la CNT de la rue Sainte-Marthe et du 33, rue des Vignoles jusqu’à la fin de ses jours, avec la carte de la CNT en poche.
Ses presque huit années de guerre ne l’ont pas défait de son humanisme ni de ses idées anarchistes. Il contribue à la presse confédérale et libertaire : Anarkia (Alcalá), CNT (Madrid) et Siembra (Alicante). De plus, grand amateur de poésie, il en publie de nombreuses à compte d’auteur.
Manuel Lozano décède le 23 février 2000. Lors de son enterrement, qui a lieu au cimetière parisien de Pantin, la Ville de Paris, la fille du capitaine Dronne (commandant de la Nueve), Evelyn Mesquida et ses camarades de la CNT l’accompagnent.
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Publié le : | 1er décembre 2014 |
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